Fuel & Friction

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Dans les années 20, Edward Bernays, reconnu comme le père des relations publiques, un personnage mythique pour certains, infâme pour d’autres, s’est fait attribuer un mandat par la American Tobacco Company (ATC) : augmenter les ventes de cigarettes auprès des femmes.

À l’époque, fumer était une activité réservée aux hommes. Les femmes représentaient une cible inexploitée et un potentiel de rendement incroyable.

Dans son briefing initial, le président de l’ATC présentait un argumentaire convaincant à Bernays : pour changer cette tendance et ce comportement, il faut investir massivement en marketing et marteler le message que fumer fait maigrir. À noter qu’à l’époque, le stéréotype de la femme mince n’était qu’à sa genèse, alors se positionner comme un remède était tout à fait plausible.

Avant d’aller de l’avant avec cette recommandation, Bernays, de son génie machiavélique, s’est posé une autre question : de quoi aurait l’air un monde où les femmes fument?

De là, il est arrivé à la conclusion qu’il fallait remplacer une habitude déjà en place plutôt que de tenter d’en créer une nouvelle. Ainsi, avec le budget marketing d’ATC, il décidait de s’attaquer au sucre. En effet, le sucre fait grossir, alors pour avoir la silhouette désirable, il faut éliminer le dessert. Après le souper, c’est une cigarette qu’il faut consommer, et non un gâteau.

Il est même allé plus loin en sollicitant médecins et journalistes pour démontrer et promouvoir les bienfaits d’être une femme mince; en incitant les restaurants à mettre la cigarette sur leur menu de dessert; et en convainquant les designers de cabinets de cuisine d’ajouter des cendriers à même les meubles.

Fumer est rapidement devenu un signe de l’émancipation de la femme. Bernays a par le fait même non seulement promu la cigarette sans réellement la promouvoir, mais il l’a enracinée si creux dans les habitudes de consommation que des décennies plus tard, nous vivons encore les répercussions de cette campagne.

Diminuer la résistance

Nous pourrions discuter longtemps de l’aspect éthique de cette étude de cas, mais elle permet de démontrer, de façon fortement illustrée, comment enlever de la friction peut être beaucoup plus efficace que d’ajouter de la puissance.

En économie et en psychologie, cette notion de « Fuel & Friction » a été empruntée du monde de la physique pour indiquer qu’un individu ou un indice économique gardera le statu quo (face à un mouvement ou un comportement), tant et aussi longtemps qu’il ne sera pas ralenti ou propulsé par une force. Voilà que cette analogie se prête aussi au marketing, mais a bien d’autres aspects d’une organisation.

En effet, Bernays aurait pu faire une campagne publicitaire avec le gros budget d’ATC pour promouvoir le message que fumer amincit. Dans l’analogie, il aurait pu ajouter de l’essence jusqu’à ce que la fusée échappe à la gravité terrestre, en ne lésinant pas sur les coûts. Il a plutôt pris un autre angle : comment peut-on diminuer la résistance à l’adoption de la cigarette par la femme américaine? En changeant les habitudes de consommation! Si la femme mince est le nouveau standard et que le dessert devient l’ennemi public numéro 1, la cigarette va se vendre par elle-même. La gravité est moins forte, la navette quittera plus facilement l’atmosphère, et potentiellement à moindres coûts.

Le vieux sofa

Dans son livre sur le sujet, The Human Element, le psychologue Loran Nordgren donne un exemple très concret pour illustrer le phénomène : un fabriquant de sofas, qui avait testé son nouveau produit auprès d’une clientèle cible et qui était certaine que ce dernier répondait à un besoin, ne réussissait pas à vendre. Quelque chose clochait, les clients potentiels, qui étaient bien excités quelques semaines plus tôt, n’étaient plus au rendez-vous. L’entreprise augmentait son budget marketing, sans succès.

Finalement, dans une étude subséquente auprès des mêmes consommateurs cibles, il a été communiqué à plusieurs reprises que l’effort nécessaire pour se débarrasser du sofa déjà en place dans le salon retardait le processus d’achat. L’entreprise a donc commencé à proposer de récupérer les vieux sofas lors de la livraison du nouveau produit. Cela s’est avéré être la solution miracle : réduire la friction causée par le vieux sofa.

Une simple question

Dans la vie de tous les jours, vous avez ces deux avenues quand vous devez prendre une décision qui affectera le statu quo de votre organisation. En mettant un changement en branle, vous faites bouger la navette, il y aura de la résistance au changement. Donc, prenez un instant et demandez-vous : est-ce qu’il existe une voie de moindre résistance? Est-ce que je peux optimiser cette décision pour minimiser la friction?

La bonne réponse (et la moins frustrante!) se trouve souvent là!

Arnaud Montpetit
Vice-Président, Stratégie